« Portraits imaginaires »
par Valerio Dehò
Le travail artistique d’Henri Beaufour s’est surtout concentré sur l’étude du visage humain, du portrait, dans le sens classique de l’expression des individualités, des caractéristiques et des différences entre les individus. Cependant, dans le cas de l’artiste français, il ne s’agit pas de se concentrer sur la description de personnes réalistes mais de travailler sur l’élaboration de quelque chose qui se situe à mi-chemin entre l’imagination et la réalité effective. Beaufour, dans son activité de sculpteur, de peintre ou de graveur, n’adhère jamais complètement au réel ; il l’élabore plutôt selon son intuition du moment et surtout à travers sa profonde culture humaniste et littéraire. Si son œuvre peut être définie comme un « voyage au bout de la matière », il est également vrai que son exploration de la psychologie humaine fait souvent émerger des résonances avec la littérature, avec ces personnages appartenant à une histoire suspendue entre la vérité de la raison et l’immensité de la fantaisie.
Le travail d’Henri Beaufour est assurément original, presque hors du temps, éloigné des modes ou des nostalgies. Une œuvre d’une grande profondeur mais aussi souvent empreinte d’ironie. Les déformations physiques peuvent rappeler les sculptures de l’artiste allemand du XVIIIe siècle Franz Xaver Messerschmidt, mais elles mêlent également intensités dramatique et expressive et parfois une veine sarcastique. L’objet de son art a presque toujours été la représentation d’hommes ou de femmes, bien que l’on trouve aussi des œuvres dédiées à des animaux classiques de la sculpture comme les chiens ou les chevaux, ou encore des animaux plus insolites comme les cochons.
Ses « Portraits imaginaires » ont la force d’analyse d’une « Comédie humaine » et l’ironie et la magie de Marcel Schwob dans ses « Vies imaginaires ». Si l’on rassemblait tous ses portraits, on obtiendrait probablement un roman extraordinaire. Mais l’art vit d’épisodes et ainsi, dans la poétique artistique de Beaufour, toutes ses rencontres occasionnelles, ses mémoires personnelles ou littéraires, deviennent une galerie de portraits unique où tout fait partie intégrante du monde de l’artiste et de sa vision. Ses sources d’inspiration sont multiples. Un carrier, un ouvrier des carrières de marbre, ou une ouvrière, cohabitent dans cette « histoire » avec des créatures mythologiques, comme le Centaure, ou littéraires, comme Sancho Panza.
La technique d’Henri Beaufour rend la matière dramatique, agite la forme dans une métamorphose continue. On peut définir son travail comme « expressionnisme baroque » pour tenter de donner un sens non seulement à l’énergie créative mise dans la représentation, mais aussi au mouvement continu du trait et de la couleur. Ses œuvres apparaissent suspendues dans une métamorphose continue. Dans certains tableaux, on ressent une forme en tension continue qui semble pouvoir changer à tout moment. Il y a un mouvement intérieur qui frappe l’observateur qui se trouve devant l’œuvre. La forme semble être dans une stase provisoire, même la dure matière du marbre semble traversée par une main impétueuse, à la recherche d’une frontière entre le formel et l’informel. Il reste néanmoins un artiste figuratif qui a centré son attention sur la figure humaine, sur les visages de personnages issus du mythe et de la littérature et qui côtoient ses rencontres du quotidien. Beaufour est un observateur extraordinaire de la réalité mais il la regarde avec la spiritualité d’une quête absolue et personnelle. Picasso également réalisa à Mougins en 1969 une série mémorable de « Portraits imaginaires » où, avec son style, il a réuni divers éléments de sa production artistique, des mythes méditerranéens aux ironies propres à des personnages réels qu’il avait rencontrés.